Ayrault au Maroc / Hollande en Algérie : la France et le Maghreb
Jean-Marc Ayrault entame aujourd’hui une visite officielle dédiée au partenariat économique entre la France et le Maroc. Par delà les 300 millions d’euros de contrats promis, la visite du premier ministre réaffirme les liens centenaires qu’entretiennent les deux nations pluriséculaires et vise à mettre un pied dans les sables maghrébins à l’heure où de nombreux régimes chutent.
Hasard du calendrier ou non, cette visite a lieu à l’heure des doutes, des inquiétudes voire des reniements des révolutions tunisiennes et égyptiennes. Elle sera suivie par une visite du président Hollande à Alger pour apaiser les tensions algéro-françaises et célébrer les accords d’Evian avec un peu de retard. Le Maroc et l’Algérie incarnent les deux solutions contre-révolutionnaires : à Rabat, une contestation aboutie qui a permis à la monarchie de renforcer sa légitimité ; à Alger, une contestation abattue qui a permis à l’armée de renforcer son illégalité. Malgré son intervention en Libye et son aide à la reconstruction démocratique tunisienne, Paris imagine sa nouvelle « Union pour la Méditerranée » avec les deux piliers du Maghreb, comme d’habitude.
Sauf qu’elle phantasme un Maghreb uni et embarqué dans le même bateau voguant sur les eaux chaudes de la Méditerranée en direction de l’Europe. Erreur. Quand le Maroc devient un « partenaire privilégié » de l’UE et multiplie les accords bilatéraux, au point de poser sa candidature à l’adhésion, l’Algérie préfère s’unir avec la Russie. Quand le Maroc signe un accord de libre-échange avec les USA en 2006, Bouteflika reçoit pour la troisième fois Hugo Chavez et vante ses excellents rapports avec la Chine. Les deux pays voisins s’affrontent dans une guerre discrète. Hollande en Algérie donc Ayrault au Maroc.
Dans leur compétition pour l’hégémonie nord-africaine, le Maroc et l’Algérie multiplient les points d’achoppement : revendications frontalières, les îlots de Ceuta et Melilla, les évolutions démocratiques, … Le principal point chaud reste le Sahara Occidental, annexé par le Maroc en 1976 et toujours non-reconnu par la communauté internationale. L’Algérie, principal soutien du Front Polisario, en fait un casus belli et rêve d’un accès à l’Océan Atlantique qui encerclerait son voisin et mettrait fin à son monopole océanique. Le Maroc, contre toute la communauté internationale et malgré des liens historiques avérés, campe sur ses positions. Ces tensions régionales, à la fois atomisées et condensées sur la question du Sahara occidental, annihilent toute coopération régionale : le commerce entre Etats maghrébins représente à peine 1,3% de leur commerce extérieur, soit le taux le plus bas de coopération régionale dans le monde !
La France voit les opportunités d’une telle situation. Médiatrice déclarée ou cracheur de feu, elle est le 1er partenaire commercial du Maroc et de l’Algérie et leur premier investisseur (54% des IDE marocains sont français). A l’interstice d’un conflit qu’elle entretient sans le dire, la France doit voir les inconvénients : la fragilité de la région venant en partie des faiblesses de ce commerce régional, l’avenir politique incertain assure-t-il à la France une place de choix ? Ces deux voyages essaient de l’imposer.